Entrevue Le Choix du pianiste

Nicolas Leprêtre
Lundi 9 septembre 2024 - 12:28
ffa 2024

Dossier : Festivals

Interview autour du film Le choix du pianiste avec le réalisateur Jacques Otmezguine et les interprètes Oscar Lesage, Pia Lagrange et Laurence Côte

le choix du pianiste


À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, François Touraine, grand virtuose du piano, n’a d’autre choix que de partir jouer en Allemagne pour sauver la femme qu’il aime. Rachel est juive dans une époque qui ne le permet plus… À son retour en France, il n’est plus que l’ombre de lui-même lorsqu’il rencontre Annette. Elle fera un geste incroyable pour lui permettre de remonter sur scène.

Quel est votre rapport au temps à travers ce film ? 

Jacques Otmezguine : Je m’inquiète du temps qui passe. La chance qu’on a dans le cinéma, c'est de traverser le temps. : arriver le matin sur le tournage où on est en 1925 et repartir à la maison le soir où on est en 2024. Le cinéma, c'est de l’espace et du temps. Il y a une espèce de maîtrise du temps dans le cinéma qui est indispensable pour raconter son histoire. Si on rajoute dans ce temps effectif, cohérent, un temps qui est le temps de l’Histoire, on est confronté à deux phénomènes. C’est très important, surtout pour les acteurs quand on les voit se transformer et devenir ces personnages.

Comment vous y êtes vous pris pour les recherches historiques ? 

C'est un travail de longues années. Je lis des livres, je rencontres des historiens. 

Comment avez-vous vécu en tant que comédiens ce passage du temps ? Comment avez-vous pu adapter vos personnages sachant que vous jouiez sur l’espace de vingt ans ? 

Oscar : Ce qui m’a aidé, c’est que mon personnage n’est pas aux mêmes endroits émotionnellement. Quand j’ai 30 ans, je suis en dépression, alcoolique, j’ai aussi une moustache, ce qui m’a aidé d’un point de vue physique. On essaie aussi de travailler sur un rythme plus lent, désabusé, cynique alors qu’au début il a foi en la vie, il a confiance en l’humanité entière. Grâce à ces appuis là, j’ai pu marquer les différents âges de François. 

Pia : Je ne pense pas au temps qui passe, c’est plutôt une tranche de vie et en fonction des événements qui se déroulent, les choses changent. Du coup, il y a des moments où dix ans s’écoulaient dans la même journée mais je me dis juste que c’est un autre état, une jeunesse du personnage, sans penser vraiment à qu’elle est la différence entre avoir 20 et 30 ans, c’est plutôt “Qu’est-ce qu’elle a traversé, à quel moment de sa vie en est-elle ?”

Laurence : On avait des moyens, des outils par rapport aux personnages. Le mien avait beaucoup d’argent, de belles robes au début de l’histoire puis il y a un revers de situation qui devient un outil qui aide à “jouer" le temps. Mais effectivement, comme le dit Pia, on est au présent des scènes. Et puis il y a aussi le montage qui joue beaucoup là-dedans. L’aspect technique nous aide beaucoup. 

Que voulez-vous que les gens retiennent de votre film ?

J’essaie de ne pas penser à ce que les gens vont penser de mon film. C’est d’abord ce que je ressens moi en l’écrivant et après l’envie de tourner et avec qui. Je ne dis pas que ça m’est égal ce que pensent les gens, mais s’ils sont contents et qu’ils aiment mes acteurs, je suis content. Le film a plein de propositions philosophiques, psychologiques et politiques. Il aborde le rapport à la société dans le temps qui passe en temps de paix, de guerre et d’après-guerre et ce que ça provoque comme situations, l’emprise sur les personnages et dans la vie. Les gens, après avoir vu le film, en retire ce qu’ils veulent. Comme disait Renoir, “Trois mille spectateurs, trois mille films.” J’ai pendant longtemps travaillé dans dans la publicité, qui représente un travail de manipulation psychologique violent. Ça m’a donné une vision très différente des films où je perçois la propagande et la manipulation très vite. Aujourd’hui, on est dans un travail de manipulation, même dans le cinéma, au niveau du marketing. Par exemple pour ce film, les distributeurs ne savaient pas dans quelle case le mettre. Je n’écris pas pour des cases. J’ai assisté à une véritable transformation des rapports aux films et au cinéma. Aujourd’hui, c'est un produit qu’on vend comme des cacahuètes. Les gens qui faisaient HEC à l’époque ne faisait pas HEC pour faire du cinéma. 

Comment percevez vous l’avenir du cinéma francophone ?

Je ne suis pas devin mais je suis un peu inquiet. Ce qui me terrifie, ce que les enfants grandissent dans une ambiance “pop-corn”. Et je pense que ça tue les films comme celui-ci. 

Oscar : J’ai une théorie. Je pense qu’il y a de moins en moins d’argent donc oui, on a plus les mêmes moyens qu’avant donc on ne pourra plus faire les mêmes films, mais dans des moments où c’est encore plus dur de faire des films, peuvent jaillir de nouvelles formes de cinéma. Il y aura peut-être moins de contraintes dans les oeuvres. Je suis sûr que du bon en sortira. 

Jacques : Maintenant ce sont les grands groupes qui dominent. Le succès d’Un Petit Truc en Plus, c’est une claque à tout ça. Est-ce que ça les fera réfléchir ? Je pense que les gens vont se lasser de ces groupes. Déjà les blockbusters aux États-Unis, les gens n’y vont plus. Ils ont peur car ils se disent qu’ils ont tout misé sur les blockbusters donc que vont-ils faire si cela ne marche plus ? Et c’est Spielberg qui dit ça. 

Oscar : La nouvelle vague est née de ça, en opposition à un cinéma français complètement fermé, formaté… Laurence : Je suis d’accord, il y a beaucoup de jeunes qui veulent faire leur truc et qui s’opposent à tout ça. Comme les formes nouvelles de théâtre. Une sorte de résistance comme l’a fait la Nouvelle Vague. Il y aura toujours des personnes pour s’opposer au “formatage.” J’en suis sûre.

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