Entrevue Une Vie rêvée

Interview autour du film Une vie rêvée avec le réalisateur Morgan Simon et le comédien Félix Lefebvre

Nicole a une vie de rêve. À 52 ans, elle vit dans une cité HLM de banlieue avec son fils de 19 ans, Serge, qui ne la supporte plus. Endettée et sans emploi, elle se voit retirer chéquier, carte bleue, et ses rides se creusent sans qu'elle ne puisse rien y faire. Et si, à l’approche de Noël, la vie se décidait enfin à lui sourire ?
Ta raison de faire ce film est très personnelle, elle est inspirée de la relation avec ta maman. L’astu fait pour aider des personnes qui vivraient une situation similaire ? Quelle est la raison de ce film ?
Morgan: Je ne le fais pas pour que les personnes qui vont le voir aient des réponses en particulier. Mais je sais que lorsque c'est sincère dans les films, dans les livres, il y a des réponses qui émergent, on se sent moins seul car on voit des situations similaires ou on se rend compte de situations que l’on vit soi-même. Si le parcours du film fini par être sincère, il y aura quelque chose qui donnera peut-être du courage à certaines personnes. Cela peut provoquer des discussions, des rencontres qui n’avaient peut-être pas lieu avant dans des familles. Puis c'est un film d’amour aussi au final, le but est d’aller dire les choses que l’on ressent.
Pourquoi fais-tu des films ?
Cela me permet de dire des choses sur la société. Je n’ai pas une voix qui porte beaucoup et les films portent cette voix plus que moi.
Et toi, Félix ?
Les raisons évoluent avec le temps mais ce qui est sûr, c’est que c’est à travers des personnages que je peux raconter quelque chose de totalement démasqué. Dans la vie de tous les jours, dans notre société, on nous cantonne à jouer des rôles, à réfréner beaucoup d’émotions. Et quand j’ait trouvé cet espace où, au contraire, on me demandait d’être dans une certaine forme de vérité, quelque chose de plus de l’ordre du don, de l’émotion, ça m’a libéré. Ça m’a permit de ne pas exploser. Puis j’adore ça, c’est un art que j’admire, le cinéma. Et le théâtre aussi.
Quelle est la frontière entre fiction et documentaire dans ton film, comme il est inspiré de la relation avec ta maman ?
Je fais des prises longues avec les acteurs donc ils finissent par vivre quelque chose malgré eux, c’est là qu’il y a quelque chose qui pourrait appartenir au “documentaire” dans les rushs entre les acteurs. Et tout le travail après, c’est de remonter une fiction justement. Concernant le côté personnel, il y a beaucoup de distance prise, ce sont des mélanges de plein d’époques de ma vie, la fiction se mélange à des choses réelles et les choses réelles sont poussées beaucoup plus loin. Ça permet de rendre tout ça vivant, dramatique, d’être dans l’équilibre de ce qui est juste.
Le moment où Valeria Bruni Tedeschi décide de donner son corps à la science comme cadeau de Noël pour son fils, est-ce une véritable histoire ?
Ma mère a voulu donner son corps à la science pour ne pas que je paie des frais à son enterrement mais ce n’était pas un cadeau de Noël, heureusement. Mais c’est là où la fiction devient forte, où on se dit qu’on est tellement dans une situation dramatique financièrement que c'est un don de soi que je ne te transmette pas mes dettes. Ça a plus de valeur qu’un bien matériel. Dans la vraie vie, ma mère a vraiment souhaité faire ça, c’était très touchant et évidemment, je lui ai dit que ce n’était pas possible. C’est cette idée là qui m’a donné envie de faire des films, je pense. Que quelqu’un en arrive à faire ça… j’en avais jamais entendu parler dans un livre dans un film ou dans les médias et je me suis dit qu’il y avait peut-être quelque chose à raconter socialement.
Tu joues donc le rôle de Morgan (nommé Serge dans le film). Comment vous y êtes vous pris en terme de direction d’acteur ?
Félix : Ce qui était agréable, c’est que même si on savait que je jouais une partie de lui dans sa jeunesse, Morgan ne cherchait pas à ce que je l’imite, il ne me disait jamais “Moi je l’ai fait comme ça…” On gardait toujours une belle place pour la création, la fiction, du coup ça nous donnait de la liberté, on n’était pas en train d’essayer de reproduire quelque chose qui s’était passé, on essayait de créer quelque chose de nouveau à partir d’un événement. Ça nous laissait une grande liberté. Et dans la direction, Morgan est très intelligent, il nous donne des pistes mais souhaite que l’on cherche et trouve nous-mêmes. Il nous fait comprendre ce qu’il cherche, et veut des surprises, des contre-pieds pour des scènes, aller chercher quelque chose qui n’est pas attendu… Il y a une direction et en même temps, on a la sensation de trouver nous-mêmes donc c'est très agréable et amusant.
Tu as des techniques particulières pour permettre aux acteurs cette spontanéité recherchée dans le jeu ?
C’est de passer du temps ensemble avant, créer cette confiance là. Un des principaux enjeux du cinéaste est d’arriver à créer les conditions propices. Ça dépend de chaque personne, chaque acteur et actrice. C'est assez instinctif. Et aussi, ne pas donner trop d’indications aux acteurs entre les prises, ajuster de façon précise. Se remettre en cause aussi, tout le temps, essayer de trouver des solutions quand ça ne fonctionne pas.
As-tu donné des directions spécifiques à Valéria ? Elle a une très belle vulnérabilité et présente une grande palette d’émotions tout au long du film.
Ce film est aussi un portrait de cette actrice, dans tous ses états. L’âge qu’elle a, la beauté qu’elle a, son côté sombre mais aussi lumineux… C’est comme si c’était un portrait à 360 degrés autour de cette actrice, il y a quelque chose de fascinant chez elle à filmer, un mystère difficile à percer. En un sens, l’objectif parallèle du film c’est d’arriver à percer le mystère de cette actrice.
Je me demandais pourquoi le thème de la famille dans tes films et courts-métrages ? Tu as l’air de particulièrement vouloir l’explorer.
Peut-être parce qu’il m’est proche et que ça me permet de comprendre des choses sur moi, sur les relations entre les gens. Je n’ai pas un but ou une volonté particulière, je sens que c’est ça qu’il faut que je fasse. Il y aura toujours des choses personnelles je pense dans mes films, si j’ai la chance de continuer à en faire. J’ai aussi fait des courts-métrages qui étaient très loin de moi, ce n’est pas mono-thématique, mes prochains films ne seront pas forcément sur la famille.
Il est difficile d’écrire sur soi, sur sa vie…
J’ai écrit sur ma mère plus que sur moi. Mon but, c’est de dire des choses dans la société. Et là, ça passe par le portrait de cette mère.
Effectivement, il y a tout un côté social du film avec le portait que tu fais de la cité, du HLM, comme un huit-clos où l’on reste presque toujours enfermé.
On est dans une réalité sociale claire avec la banlieue, avec un jeu naturaliste, mais il y a aussi de la fantaisie apportée par les personnages, il y a un rêve dans le film et le film ne se donne pas de “limites”, il se permet d’aller à des endroits qui ne sont pas attendus par rapport à ce qui est mis en place au début du film. Quelque part, c’est un peu un comte de Noël.