Interview du Jury

Nicolas Leprêtre
Lundi 9 septembre 2024 - 11:51
ffa 2024

Dossier : Festivals

Silène s'est entretenue avec le Jury. Voici l'interview.

Itw François Busnel 

Qu’est-ce que ça vous fait d’être juré pour le festival d’Angoulême cette année ?

J’en suis très content. J’aime bien l’idée d’un jury qui est composé de professions différentes. Souvent, il n’y a que des journalistes ou que des comédiens ou réalisateurs et on se retrouve en vase clos. Il n’y a rien de plus passionnant que de se confronter à l’autre, aux autres, penser contre soi-même, sortir de ses convictions, de sa zone de confort et même de la manière dont vous voyez les choses. Par exemple, quand vous êtes journaliste, vous ne voyez pas un film de la même manière que celui à côté de vous qui est réalisateur de film ou producteur et qui regardera ce film avec un autre oeil. Ce que je trouve intéressant en tant que juré ici, c'est que le jury est ouvert, avec de grands comédiens et réalisateurs. Je me suis dit “Là, tu vas apprendre”. Car le grand enjeu d’un jury, c'est de dire “On ne sait pas”. Si vous arrivez en pensant que vous savez déjà tout, ce qui est bien ou pas bien, ce qu’est un bon ou mauvais film, un bon ou mauvais comédien, si vous arrivez avec cette idée là, il faut faire un autre métier. Être jury c'est se dire “Je ne sais pas”. En discutant avec les autres à la sortie du film qui eux n’ont pas le même regard que moi, là je vais apprendre. C’est cette conversation avec des gens qui ne pensent pas comme vous qui génère cette petite étincelle qu’on appelle la créativité.

Avez-vous discuté avec les autres jurés de la manière dont vous alliez vous compléter les uns avec les autres ? Ou est-ce plutôt instinctif ?

Je préfère y aller à l’instinct. J’aime l’idée qu’on puisse encore faire des choses de manière instinctive, sans calculer. Parce que j’admire et aime ce que font les personnes avec qui je vais débattre, je sais que cela va nourrir mon imaginaire, ma créativité, ma curiosité tout simplement.

Quand est-ce que s’est éveillée votre passion pour le cinéma ?

Elle était très précoce. Très jeune, trois choses sont entrées presque le même jour dans ma vie et qui m’ont changé : les films, les livres et la musique. Ce sont les trois pieds sur lesquels je danse et ce depuis toujours, depuis l’enfance. J’ai eu une chance folle : je me suis beaucoup ennuyé. C'est une chance inouïe de s’ennuyer. Un jour j’ai découvert un livre et puis un autre jour en allumant la télé, un film. Et là, j’ai plongé dans le remède à l’ennui : la vie des autres, l’imaginaire. J’ai tout été dans ma vie : pirate, cowboy, banquier, séducteur, trompé, cocu, marié, dans l’espace… À chaque fois que je voyais ces films ou lisais ces livres, je m’identifiais tellement aux personnages que je les devenais. C'est une chance folle car c'est aussi ce qui nous nourrit, ce qui nous permet d’affronter la vie réelle quand on y retourne, d’affronter les mille et une petites choses qui vous bousillent l’existence. Et d’un coup elle n’est plus bousillée, elle est créée. La littérature, la musique et le cinéma peuvent changer votre vie. Mais c’est aussi à vous de savoir accueillir les changements qu’elle induit, d’aller chercher des choses qui vous déroutent, vous dérangent, vous mettent sur une autre voie et d’accepter ça. Et quand vous l’acceptez, vous ne vous perdez pas vous-mêmes, vous vous recréez. Les émissions d’Eddy Mitchell qui présentait La Dernière Séance étaient aussi importantes que celle de Bernard Pivot qui présentait Apostrophe. Il n’y a pas de sous-culture. Le cinéma n’est pas une sous-culture. Il y a des cultures et ce qui est formidable, c'est d’aller chercher en chacune ce qui vous plaît, ce qui ne vous plaît pas. Ça vient par contre-poids vous créer. C'est très important de savoir contre quoi on crée. Et c'est ce qui est bien quand on est dans un jury, on voit aussi des choses qui nous plaisent moins. On ne peut pas voir que des choses que l’on aime. C’est important de se dire “Tient ça, j’aime pas du tout, donc je ne vais pas faire ça”. Il faut être curieux de tout. Être juré c’est aussi ça, c’est restaurer c’est état d’esprit que l’on perd un peu dans notre société actuelle, l’esprit de curiosité, faire tomber les oeillères.

Pourquoi est-ce qu’on fait du cinéma ? Qu’est-ce qui fait que les films ont un tel pouvoir sur nous ? On ne sauve pas des vies et pourtant se raconter des histoires détient une place primordiale dans nos vies, c’est un des socles de notre humanité…

C’est vrai nous ne sommes pas médecins, urgentistes, infirmières, chirurgiens qui sauvons des vies. Mais - quand vous tournez, vous ne vous en rendez jamais compte - vous collaborez à une oeuvre plus grande que vous qui un jour va tomber devant les yeux d’une gamine pas très bien dans sa peau, qui ne sait pas ce qu’elle fait dans cette salle de cinéma. Et vous allez l’éblouir, l’émouvoir, et à qui votre prestation va donner la force quand elle sortira de la salle de dire ce qu’elle a à dire. Et donc, oui, vous lui sauvez la vie. Ça mettra peut-être des années mais quand cette petite fille, quinze ans plus tard, repensera à ce qui fait qu’elle a osé faire ce que jamais elle aurait osé faire, il y aura peut-être ce film, ce livre, cette chanson qui lui viendra en tête. C’est à ça que sert l’art. Un film qui vous remue les entrailles, vous propulse ailleurs, vous savez pas quoi en faire. Et un jour dans votre vie, vous y repensez - et ça mettra peut-être des années, ça infuse. Les films sont des bombes à fragmentation. Un jour vous vous réveillez et vous vous dites “C’est parce qu’il y a eu ça” que maintenant je dis stop. Et vous changez. J’y crois beaucoup car cela m’est arrivé et avec La Grande Librairie, j’ai passé des années à croiser dans la rue des personnes qui m’ont raconté cette histoire. Quand vous écrivez ce livre, faites ce film, cette émission… vous ne savez pas quel impact vous allez avoir sur la vie des gens mais, et on en revient au pouvoir inouï de l’art, livres et cinéma, tous les deux ont le pouvoir de faire ça.

ITW avec Samuel Le Bihan

Comment comptes tu approcher ton rôle de juré sur ce festival en tant que comédien ?

Ce que je trouve intéressant, c’est de rencontrer une génération, des gens qui ont vingt ans, qui ont des rêves sur ce métier. Je vais apprendre d’eux : quel cinéma les fait rêver, qu’est-ce qu’ils attendent du cinéma, comment ils le vivent, comment ils ont envie de le faire… Comparer nos points de vue, nos sensibilités. Tu vois, le journalisme c’est l’état du monde d’un point de vue - à priori - objectif en parlant des faits, et le cinéma, c’est l’état du monde mais de façon sensible : comment on le reçoit, comment on le ressent. C’est de cet état du monde dont nous allons parler : l’instabilité politique, les enjeux qui changent, l’environnement… Je suis curieux de voir comment les jeunes vivent ce monde. Par exemple avec les réseaux sociaux, j’ai l’impression qu’il y a une pression tellement plus forte sur les nouvelles générations par rapport à nous quand on avait leur âge, notamment avec le droit à l’erreur. Nous on avait le droit de se planter, personne était là pour le filmer, on se permettait plus de choses. Est-ce qu’aujourd’hui on peut se permettre les mêmes conneries ou est-ce qu’on a peur pour notre image de se faire filmer et ridiculiser ? Ce sont des questions que je me pose en permanence. Je trouve le monde plus complexe pour la nouvelle génération que pour la mienne. Comment on se débrouille avec cette complexité ?

En tant que comédien, quelle est notre place là dedans ?

Je pense qu’on est là, à priori, pour distraire. C’est le rôle que la société nous donne. Puis finalement, à travers cette distraction, on véhicule énormément d’informations, de thèmes. Même des films comiques comme celui d’Artus où il nous raconte qu’on a envie de vivre ensemble avec nos différences. Ça raconte des choses, même sur un plan politique. Ce qui me plaît en tant que comédien, c’est qu’on rejoue des émotions de façon volontaire. C’est comme si on faisait un petit voyage dans l’inconscient des gens pour revivre des émotions. Un peu comme les rêves qui servent au cerveau à tout remettre en place, à ranger. Est-ce que finalement le comédien, en rejouant des situations, ne servirait pas à aider les autres à ranger leur subconscient ? On doit servir, quelque part, à soigner psychologiquement.

ITW avec Maryam Touzani

Comment vis-tu cette édition spéciale du FFA qui célèbrera le Maroc ? 

C’est une année particulière. Je suis très attachée au FFA comme j’ai été ici avec tous mes films. C'est un festival qui me tient particulièrement à coeur et cette année mon rôle enrichi ce lien, c’est quelque chose d’encore plus beau qui se rajoute à cette relation. 

Ça vous fait quoi d’être jurée dans un festival qui a vu le début de tous vos films ? 

C'est particulièrement touchant. J’aime beaucoup l’âme de ce festival, ses sélections, les rencontres, l’esprit du festival. 

Comment allez-vous approcher votre rôle de jurée ? 

Je fais toujours à l’instinct. Je ne sais pas faire autrement. J’ai commencé à faire du cinéma instinctivement, par besoin de m’exprimer, et là, c’est la même chose. Je veux m’ouvrir à d’autres films. C’est ça le cinéma, c’est s’ouvrir à d’autres humains, univers, sensibilités, être prêt à accueillir, faire des choses complètement inattendues et être questionné. Je n’aime pas lire quoi que ce soit sur les films avant d’aller en salle. Je ne veux rien savoir, je veux me laisser submergée par ce que je ressens, me laisser surprendre totalement. C’est comme ça que j’ai envie d’approcher mon rôle de juré. Accueillir ce que le cinéaste a envie de raconter. C’est une responsabilité de faire partie d’un jury. Il faut être prêt à accueillir les films de la meilleure manière possible, être totalement disponible. 

En tant que réalisatrice aussi, j’imagine que tu as le même focus, cette même discipline ? 

C’est vrai que lorsque l’on est réalisateur, on sait à quel point chaque détail est important. Alors quand on est dans un festival en tant que membre du jury, on a cette responsabilité d’être conscient, on sait à quel point tout est important dans un film. Pour moi, il s’agit de se vider complètement l’esprit et accueillir le film que l’on va voir pleinement.

Comment peut-on “juger” un film si on ne possède pas le contexte qui l’accompagne ? 

C’est là où le cinéma est magnifique car on se laisse cueillir par une émotion, on rentre dans la peau dun personnage sans forcément comprendre tout le contexte et on peut plonger dans un univers que l’on ne connaît pas du tout. L’émotion que l’on ressent pendant le film, pour moi, c’est ça qui compte. C'est là où le film va nous emmener sans qu’il y ait pour autant le côté intellectuel qui va avec. Ça, on peut aller le chercher ailleurs. Je pense qu’il y a un lien entre l’intellect et l’émotion. Quand quelque chose nous touche assez émotionnellement, derrière on a envie d’intellectualiser, d’aller comprendre, d’aller chercher, mais ça passe avant tout et forcément par l’émotion, les personnages et les histoires.

ITW avec Cédric Kahn

En tant qu’acteur et réalisateur, quel regard pensez-vous porter sur les films que vous allez voir ? 

Dans la vie réelle, je ne me sens ni acteur, ni réalisateur. Je me sens totalement réalisateur quand je fais des films, totalement impliqué quand je suis acteur (je ne me sens pas acteur, je ne suis pas acteur, je suis acteur par hasard). Je suis réalisateur de façon acharnée, c'est un rêve que je poursuis depuis des années. Et quand je vois des films, c'est pareil. Je veux juste être un spectateur émerveillé. Je veux en quelque sorte dé-professionnaliser mon regard, qu’il devienne le plus innocent possible. Pour ça, il faut que le film soit très bon, sinon je regarde comment il est fait, la musique, le jeu des acteurs… mais quand un film est incroyable, que le sujet est très fort, que les acteurs sont crédibles, je vois plus le travail, je ne sais plus rien faire, je suis juste émerveillé et ça me donne envie de faire des films. 

Qu’est-ce qui vous émerveille ? 

Ce qui va me surprendre, ce que je ne connais pas, une façon de faire un film que je n’ai jamais vue faire. Ça peut être des choses très simples. C’est pas forcément le brio. L’ultra-simplicité, un acteur qui ne joue presque pas… Je ne sais pas ce que j’attends. Les jurys sont souvent formés d’acteurs, de réalisateurs, de professionnels. J’ai participé à des jurys qui étaient composés de personnes autres que dans le cinéma. C’était intéressant de confronter nos discussions sur ce sujet. Il n’y a pas de regard professionnel sur le cinéma, on est tous des spectateurs de cinéma, ce qui fait qu’on est arrivé au cinéma c’est d’abord parce qu’on a aimé aller dans des salles de cinéma voir des films. On partage tous ça. Je pense qu’on est égaux face à un film. Des fois, il y a des gens qui ne sont pas dans le cinéma et me demandent si tel film est bien ou pas bien. Pour moi, si tu aimes c'est que c’est bien, si tu n’aimes pas, c’est que ce n’est pas bien.

Il faut être humble face à un film, à une oeuvre. Je ne veux pas regarder les films “d’au dessus”, avec un regard de quelqu’un qui saurait dire “ce qu’est du cinéma.” J’ai été dans des situations que je trouvais très délicates, comme être juré à l’entrée d’une école, quand tu dois décider de qui entre ou ne rentre pas… Je ne me sentais pas tout à fait légitime à jouer ce rôle là… 

Comment conçois tu la légitimité ? 

Il n’y a pas de légitimité, c’est un espace libre. Je crois beaucoup à ça. J’ai toujours beaucoup lutté contre le fait que le cinéma soit un monde fermé. C'est un combat chez moi. J’aime que ça se mélange : le mélange de personnes très professionnelles, très connues et des personnes totalement amateurs. C’est mon plus grand plaisir, et c’est une position politique chez moi. Ça fait échos à votre film Making Off… Ça parle de ça. Je peux le dire d’autant plus facilement que je l’ai dit dans un film. C’est un discours que j’applique avec énormément de bonheur. Moi-même je n’ai pas fait d’école et j’ai longtemps considéré que je faisais du cinéma comme par “effraction”, comme un pirate. Maintenant je ne peux plus dire ça car je fais des films depuis trente ans et que je suis quelqu’un d’établi, mais il y a une part de moi qui est restée comme ça et que je protège.

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